Tout 
d’abord, aborder l’histoire sous l’angle de la spatialité me semble un 
truisme. De même il me parait difficile d’aborder les questions 
relatives à la géographie sans recourir, à un premier niveau d’analyse, à
 des marqueurs temporels. A dire vrai l’espace et le temps ne sont en 
rien des objets d’études mais des dimensions constitutives des objets 
d’études
[1].
 Pourtant les subdivisions disciplinaires de géographie historique et 
d’histoire géographique (histoire spatiale ?) existent mais sont moins 
le résultat d’une division rationnelle des champs d’investigation que le
 fruit d’une évolution continu des deux disciplines. Baker nous rappelle
 que l’Histoire ainsi que la géographie, et cela de façon parallèle, ont
 profondément renouvelé leurs approches méthodologiques et élargi  leur 
champ d’étude jusqu’à largement empiéter l’une sur l’autre. Pour autant 
doit-il y avoir conflit ? Quels sont leur spécificités et dans quelles 
mesures leurs relations peuvent être fécondes ? 
Revenons à nos 
truismes de départ. Pour ce qui est de la géographie,  tout évènement 
spatial résulte d’un état irrémédiablement daté du système que l’on 
étudie et à ce titre l’historicité du moindre phénomène spatial est donc
 intégrale et radicale. De même, toute étude historique accuse une 
dimension spatiale même si celle-ci est parfois (souvent ?) omise. 
Pourtant ce constat n’est pas toujours allé dans le sens d’une 
interdisciplinarité et il me parait intéressant d’en rappeler brièvement
 les grandes étapes au risque d’ennuyer le lecteur avec des banalités. 
Je me permettrai aussi de raccrocher de façon concrète certaines de mes 
réflexions  au cadre même de mes recherches sur les processus  de 
politisation en milieu urbain et dans un contexte colonial afin de 
dégager l’intérêt heuristique d’une approche spatiale
[2]. 
L’Histoire-géographie
 est un vieux couple au sein de la culture scolaire française et fut 
l’instrument privilégié d’éducation politique et de construction d’une 
identité nationale (Qu’en était-il en Angleterre ? Je l’ignore). Si la 
géographie fut d’inspiration naturaliste à ses débuts, donc de 
conception assez  « fixiste »,  dès la fin des années cinquante, 
l’attention se porte sur les effets de circulation, longtemps négligées
[3].
 Avant l’émergence de cette « nouvelle géographie », lorsque les 
géographes analysaient l’encadrement urbain de l’espace ils traitaient 
bien de réalités humaines mais le faisaient de telle manière qu’ils 
n’avaient pas besoin de parler des acteurs dont les décisions généraient
 les dispositions spatiales. Nous avions l’émergence d’une science 
sociale des comportements rationnels qui proposaient des interprétations
 environnementalistes souvent influencé par le déterminisme Darwinien 
(Friedritch Ratzel, Paul Vidal de la Blache). De nombreuses études 
géographiques souffraient de finalisme historique, la chronologie et 
l’histoire étant quasi synonyme. Il ne fait aucun doute pour beaucoup 
que Géography et histoire ont des perspectives différentes et des 
territoires intellectuels séparés (Mitchell 1954 p 10). Le terme « monde
 » désigne la surface de la terre pour les géographes alors qu’il s’agit
  de l’ensemble des sociétés pour l’historien. 
L’apparition de 
la  « nouvelle géographie » est contemporaine de l’histoire des annales 
dont il est utile de se souvenir que Marc Bloch et Lucien Febvre avaient
 à la base une formation de géographes
[4].
  Ce n’est qu’avec les annales, et notamment l’apport de Braudel sur les
 différentes temporalités, l’on sort finalement de la vision naïve du 
temps chronologique et dont l’intérêt pour la géographie (relié à la 
longue durée) est tel que Baker rappelle que l’histoire fut soupçonné 
d’annexer la géographie
[5].
  Ainsi l’homo geographicus échappe à une société vu comme alors 
rationnelle et rentre pleinement dans le champ de la culture. Ce 
deuxième point de jonction avec l’histoire est le suivant : les 
géographes appréhendent une réalité dynamique mue par les pratiques, 
attitudes savoir-faire, connaissances et croyances de l’homme. Les 
champs d’activités de l’homme (économie, social , politique ect.) sont 
des objets d’études aussi bien pour les géographes que pour les 
historiens. Baker insiste par ailleurs lourdement sur le parallèle qui 
peut être fait entre les effets de « modes » historiographique et 
géographiques. L’historien pas plus que le géographe n’échappe à l’air 
du temps. Il n’y a qu’à constater l’émergence aujourd’hui des gender 
studies et des subaltern studies (bien que ces dernières soient 
davantage confinées au monde anglo-saxon) pour souligner le parallélisme
 dans l’évolution des deux disciplines. 
Nul besoin ici d’ennuyer
 le lecteur avec l’Histoire de l’Histoire et la rupture apportée par les
 annales que Baker identifie comme un « cross point »
[6]
 important entre les deux disciplines.  Rappelons juste que jusqu’alors 
les historiens avaient coutume de considérer le monde comme un simple 
décor, alors que l’acception post-moderne serait plus de considérer 
l’espace comme « une arène où les hommes s’affrontent » avec ce que cela
 suppose comme interactions
[7].
 En bref on ne peut plus concevoir la vie sociale hors de l’espace. Au 
fond, l’espace vu par les historiens n’est plus considéré comme une 
externalité de la société (un output) mais comme un véritable composant 
du système. Comme le note Michel Lussault, « l’espace est plus grand que
 la matière, les idéologies spatiales, les mythologies, les images et 
les imaginaires ainsi que tous les langages qui les formalisent et les 
diffusent, qui leur offrent leurs effets pragmatiques, font partie 
intégrante de la dimension spatiale de la société »
[8].
 A titre d’exemple, un angle d’attaque très intéressant sur la 
politisation des Ewondos de Yaoundé que j’étudie actuellement, repose 
beaucoup sur leur conception de la territorialité qui mettait en échec 
les tentatives de contrôle social des indigènes par l’administration 
coloniale et qui reposait pour l’essentiel  sur un imaginaire 
précolonial (escapisme, nomadisme ) et le mythe fondateur de la 
traversée du Loum. Ainsi pour un historien, l’approche spatiale n’est 
pas une fin en soi mais plutôt un moyen privilégié de rendre compte 
d’une réalité sociale. 
Pourtant et bien que Baker n’insiste 
point trop là-dessus, il nous faut constater à l’instar de M.Lussault 
que la géographie contemporaine fut et reste souvent sensible à la 
thématique de l’invariance qui se trouve inscrit d’une certaine façon 
dans son ADN. Des tendances tendraient à « déshistoriser » et « 
désociétaliser » les « lois propres de l’espace » que certains 
géographes cherchent à découvrir. D’autres comme Edward Soja postule que
 l’accélération du temps, l’instantanéité contemporaine neutralise en 
quelque sorte l’expérience de la temporalité ce qui revient à réévaluer à
 la hausse l’expérience de l’espace, les paysages urbains étant des 
collages emblématiques de la civilisation mondiale.  La question qui se 
pose alors est aussi valable pour l’histoire : La géographie ou 
l’histoire peuvent-elles être des disciplines autonomes disposant de 
méthodologies qui leur sont propres et dans certains cas s’ignorer l’une
 l’autre ? Je serai tenté de répondre par la négative ; l’histoire 
devrait rejeter la neutralisation de l’espace et la géographie l’esquive
 de l’historicité. Mon étude en tous cas des réseaux sociaux porteurs 
d’une parole politique m’amène à le penser. Pour faire court, la 
dimension humaine, donc subjective, de la constitution de ces réseaux 
reste certes une donnée de base- difficile à appréhender du reste-  mais
 la géographie des nœuds de rencontres, la fluidité de la circulation 
des idées et des hommes rendent compte de l’espace social dans lequel se
 meuvent les individus et dont l’historicité est attesté par les 
reconfigurations permanentes du network . Just food for thoughts…. 
 Mais après tout le débat reste ouvert… 
Christophe Ralite   
[1]
 Kant Emmanuel, Critique de la raison pure, [s. l.], Flammarion, 2001 
Mais pas nécessaire de lire le pavé pour comprendre cette évidence.  
[2]
 Je rappelle à mes lecteurs le sujet de mon mémoire: « Les processus de 
politisation à Yaoundé à travers les réseaux (1944-1962) » avec comme 
question subsidiaire « quelle circulation de la parole politique dans un
 contexte de lutte nationaliste ? ». Nous sommes bien dans une 
problématique de flux : hommes et idées. Chacun peut apprécier l’intérêt
 d’un approche spatiale dès qu’il s’agit d’étudier des réseaux.  
[3]
 Je me réfère à l’article de Paul Claval, entrée « géographie » in 
Collectif, Dictionnaire des sciences humaines, [s. l.], Presses 
Universitaires de France - PUF, 2006, p. 497.  
[4] Pour l’Histoire de l’Histoire lire Prost Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996.  
[5] Voir les travaux de Braudel sur la méditerranée (1949)  
[6] Antoine Prost Op. Cit..  
[7] P. Claval Op.Cit.  
[8] Collectif, Dictionnaire des sciences humaines, op. cit., p. 561.