Devant
la profusion des sources numérisées, il fallait revoir ma façon de les
archiver, de les consulter et de les exploiter. Le séminaire « l’histoire
à l’ère du numérique » de Christian Henriot m’a énormément apporté. L’ampleur
de mon sujet nécessite une réflexion méthodologique avancée. Le logiciel de
cartographie mentale (mind-mapping) « the brain » est devenue en
quelques mois le centre névralgique de tout mon projet de recherche. J’ai le
sentiment de tenir une méthode réellement innovante pour la recherche en
sciences humaines. Grâce à ce logiciel je suis monté en puissance car la
possibilité de référencer, stocker l’information et surtout d’analyser est
grandement facilitée. « The
brain » me permet de cartographier mes idées de façon visuelle, non
linéaire, en tissant des liens (1500 aujourd’hui) entre les idées (550).
Exemple
pour l’idée active « Ethos indigène »
Le fait qu’on ne se perde jamais dans cette
complexité est remarquable car on peut constamment en un clic déplacer
le regard et jongler avec les modes
d’affichages et les filtres. Les idées sont classées en plusieurs types : concepts
et idées, réseaux (9 sous types), pratiques sociales, pratiques du pouvoir,
évènements (seulement les plus importants…) et groupes d’acteurs. Les individus
eux sont des simples « tags » associés aux idées. Les liens sont
paramétrables à l’infini (affiliation, soutien, lien souterrain, ect…). Je peux faire apparaitre en quelques clics
les relations entre réseaux, individus et les pratiques et concepts associés.
Tout se cartographie ! Bref c’est les réseaux par … le réseau, ce qui me
permet d’associer étroitement le fond et la forme.
Voici
deux exemples pour illustrer: un parcours individuel à partir du
personnage Rubben Um Nyobe et un exemple des connections de l’UPC sous
maquis : on repère d’emblée les liens souterrains (en vert) et la
prééminence des réseaux internationaux (marron).
Mais
il y a plus fort ! Toutes mes notes et mes sources sont reliées aux
« idées » (430 notes …). Du coup j’ai repensé ma façon d’annoter
les sources en PDF. Maintenant je tague en fonction des dénominations utilisées
et cartographiées dans le « brain ». Les avantages sont énormes. Mes
remarques qualitatives se font directement dans « the brain » et non
dans les PDF. Le puissant moteur de recherche peut ainsi retrouver n’importe
quelle information (lieux, dates, personnes, ect…) et la croiser avec d’autres.
Et les résultats affichés sont
contextualisés. Exemple pour BDC + USC deux partis concurrents de l’UPC :
Dans
le plex, les idées adjacentes permettent des éclairages qui démultiplient les
angles d’analyse. L’autre avantage est qu’on est au plus près de la source
(accessible en un clic) et du texte original (facilement mobilisable grâce au
tag qui correspond à l’idée active du Brain !). S’il faut beaucoup de
rigueur dans le tagging, le mode de lecture des sources est devenu plus
souple : diagonale quand il s’agit de repérer l’idée générale (donc le
tag) et plus précise quand des remarques qualitatives s’imposent. De nouvelles
idées apparaissent constamment et sont reliées aux autres.
Ainsi
je gagne un temps considérable et ce système est adapté à la lecture de
quelques 4500 pages d’archives. Mais il me faut maintenant revisiter mes anciens
PDFs et les taguer correctement.
Aussi
j’ai abandonné l’idée naïve de relier les sources et les notes à mon plan de
mémoire « linéaire » et en évolution constante. Pour le chercheur
« the brain » est au plus près d’une réflexion par nature non
linéaire, complexe mais organisée et hiérarchisable et fondamentalement
dynamique. Les liens et les idées sont constamment modifiables en temps réel. C’est souple et dynamique. Et toutes les sources et notes sont agrégées
aux idées donc facilement mobilisables.
La
rupture épistémologique qu’apporte le numérique pour le coup est palpable. L’idée
de génie de « the Brain » est de coller au plus près du
fonctionnement réel de la pensée qui n’est pas « linéaire » mais
plutôt « fractale » et qui fonctionne par association d’idées. Lors
du passage à l’écrit, (nécessité académique !) la mise en intrigue, en
récit est facilitée. Il y a même une fonction tout à fait stupéfiante du
« plex » : on peut le faire apparaître comme un transparent
directement superposable au traitement de texte. J’écris et j’ai les idées sous
les yeux. De plus elles apparaissent instantanément car dès lors que je tape
MPA (Mission presbytérienne américaine) par exemple, la synchronisation ESP par
le clavier fait apparaître l’idée
active, les liens et les notes. Cependant je trouve plus commode de fonctionner
avec deux écrans.
L’architecture du Brain a été construite de
la façon suivante. J’ai répertorié les angles d’attaque autour de l’idée
principale « les processus de politisation » et ensuite j’ai
développé à la manière d’un brainstorming.
Les
approches sont multiples et peuvent constituer autant de fil rouge:
·
Histoire politique et sociale, conjonctures et
évènements (fait militaire, histoire urbaine)
·
Economie.
·
Histoire des institutions, approche structurelle (réseaux
formels)
·
Approches spatiales : circulation des hommes (Projet
SIG)
·
Anthropologie, faits culturels, économie morale
·
Histoire religieuse et politique
·
Sociologie des acteurs, approche micro-historique à
partir des parcours individuels
Voici la
nébuleuse des idées tournant autour de mon sujet . Je peux générer des rapports
statistiques sur « l’activité » de mes idées et repérer celles tombées
en désuétude et générer un historique de ma réflexion.
Et de façon plus
linéaire voici ce que cela donne en affichage gradué pour « société
coloniale englobante » avec un déroulé sur « scène politique ».
Je me donne un
mois et demi pour finir d’explorer les documents et taguer. Sans oublier les 40
h d’enregistrements… que je ne retranscrirai pas de façon précise (de toute
façon c’est 6h de boulot pour 1h d’entretiens : impensable !!). Je
tague, j’annote et je note le minutage. Toujours l’accès directe à la
source ! Quelques secondes suffisent pour retrouver un passage intéressant
sans rien perdre du contexte d’énonciation.
Soyons clair, la
méthode développée est prometteuse mais au stade de l’expérimentation. Des
limites apparaissent clairement. A un certain niveau de complexité la visualisation devient peu lisible. J’ai
répertorié 200 réseaux au jour
d’aujourd’hui. Impossible de les représenter tous et cela ne représente que peu
d’intérêt. Les filtres sont essentiels. D’autre part et c’est une limite
importante, la gestion des évènements
est peu adaptée notamment dans sa dimension diachronique. Rappelons que ce
logiciel a été développé par des ingénieurs américains pour le research
and development. Il nous faut donc
des outils plus fins s’il s’agit de mettre en réseaux des individus à partir
d’une base de donnée, ce que je compte faire l’année prochaine. Pour la
constituer, je m’appuierai sur les notes de renseignements de la sureté et pour
chaque réunion je recenserai les individus et leurs caractéristiques
sociologiques, les lieux fréquentés (Utilisation des SIGs), les dates, des
éléments contextuels et qualitatifs et surtout les liens présumés avec
différents réseaux. Un gros boulot dont je ne sais si « The brain »
sera adapté. Je lorgne sur le logiciel sociométrique du professeur Dudieu
(LARHRA).